» Et le meilleur paléontologue est… »

– Mesdames, messieurs, bienvenue dans notre  émission: « Qui sera le meilleur paléontologue? »! Et je vous prie  d’accueillir comme il se doit notre nouveau candidat, qui va tout donner pour conquérir le titre, j’ai nommé: Kiiiiim!!!

Je débite ma tirade et la ponctue par une ovation de la part de mon public fictif.
Il est 6h30, ce samedi matin.
Nous avons beau être rentrés tard du mariage de la veille, Kim m’attend déjà dans le salon où est installé son nid pour la nuit.
Toute la journée, il a été parfait et a passé beaucoup de temps à courir après son explorateur de petit frère.
Lorsqu’il vient dormir à la maison, ces petites heures du matin nous appartiennent, il y tient et je le sais.
Donc… juste le temps de me préparer et hop.
Me voilà embarquée dans nos conversations, nos jeux, nos lectures.
Nous avons commencé par un jeu de questions de culture générale.
Puis j’ai inventé notre jeu du meilleur paléontologue en échafaudant quelques règles:

– Je rappelle les règles du jeu: chaque carte contient deux séries de trois questions concernant les dinosaures. Cartes de niveaux facile, moyen et expert. Notre candidat a droit à un indice par face de carte, qu’il peut cumuler s’il ne les utilise pas. Pour obtenir son premier titre de « Bon paléontologue », il devra répondre sans erreur aux questions de cinq cartes. Dix cartes pleines seront nécessaires au titre de « Très bon paléontologue »… et vingt pour celui de meilleur paléontologue de tous les temps! Kim, êtes-vous prêt?

Assis dans son canapé, coincé entre ses coussins et éclairé par la petite lampe imitation Tiffany, Kim, sérieux comme un pape, répond positivement.
Et les questions-réponses commencent, entrecoupées par des moments de suspense, mes déclarations au « public » (Pomme, en l’occurrence, et les environs 300’000’000 de spectateurs qui nous suivent, dans la salle et sur tous les écrans du monde), et leurs réactions enthousiastes.

Pendant plus d’une heure, nous sommes plongés avec sérieux dans l’univers des tyrannosaures, brontosaures, vélocipraptors etc…
Épuisé par l’énooooooorme effort intellectuel fourni, Kim obtient le titre de « Très bon paléontologue », prêt à s’élancer prochainement dans la course au titre suprême.
Le jeu rangé, j’attends qu’il aborde le sujet qui le préoccupe.
J’ai bien vu que, dans la nuit, il est allé chercher deux bouquins consacrés aux dessins de Charly Hebdo.
Ils ne sont pas de son âge, je sais.
Mais il n’y a pas de livre interdit dans ma bibliothèque.
Il le sait et ne cache pas ce qu’il lit.
Il commence:
– On les a tués pour quels dessins?
Je lui en montre quelques-uns.
– Mais… pourquoi?
Je lui explique les aspects culturels qui entourent ces dessins, et la conversation déborde sur le terrorisme, les événements qui secouent le monde.
– Mais pourquoi il y a des Français qui partent chez ces gens et qui reviennent méchants?
Expliquer l’inexplicable… l’horreur…
Je lui dis ce que je pense, en précisant que je n’ai pas la science infuse et que ce n’est que mon avis.
Je lui parle la propagande mensongère, de ceux qui profitent des plus fragiles, de l’importance d’avoir ses propres convictions…
– Mais… comment on fait pour savoir que c’est un méchant qui nous raconte des choses, puisqu’il fait d’abord comme s’il était gentil?
Je lui réponds à ma façon… et je conclus:
– Si tu as une période, dans ta vie, où tu ne te sens pas bien dans ta peau, où tu es prêt à écouter n’importe qui ou n’importe quoi et à faire des choses folles pour te sentir mieux, ce serait formidable que tu en parles à ceux qui t’aiment depuis toujours avant d’avoir envie de faire de graves bêtises. Je ne sais pas si tu peux déjà comprendre ce que je dis, mais je crois qu’il faut trouver un sens à sa vie, c’est essentiel. Savoir ce que tu veux faire, qui tu as envie d’être… Et, surtout faire très attention lorsque tu donnes ta confiance à quelqu’un.
– Je comprends… Tu t’es déjà trompée toi? Tu as fait confiance à des gens pas bien?
– Oui, et je le regrette encore.

Petit silence. Il réfléchit et il reprend:
– Si je ne vais pas bien et que je sens que quelque chose se passe, je pourrai venir te parler?
– Tu pourras toujours venir me parler, de tout.

Il sourit et passe à autre chose.
Sa déclaration et ses questions m’ont touchée.
Reste à savoir s’il aura toujours envie de me parler dans dix ou quinze ans…
Ce présent que, tous, nous lui tricotons en mailles bien serrées suffira-t-il à le rendre solide et peu influençable?

Ce matin, en entrant dans mon bureau, un nez rouge de clown, en mousse, traînait par terre.
Trace du passage de Kim et Nawee…

Martine Bernier

 

 

 

 

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