Le nez

Zapping sur l’horreur de l’actualité.
Le drame des migrants, le terrible accident de car qui décime plus de 40 personnes…
Je n’en peux plus d’autant de souffrance.
Je me débranche et je me plonge dans des magazines qui attendent depuis quelque temps déjà que je trouve le temps de les lire.
Comme d’habitude, la chirurgie esthétique est évoquée.
Soupir…
C’est un sujet qui m’agace et me fait de la peine tout à la fois.
Pas facile de prendre de l’âge pour certaines femmes qui ont été très belles.
Pas facile non plus pour de très jeunes filles d’accepter de vivre dans un corps imparfait, surtout s’il est l’objet de quolibets.
Pas facile pour certains de résister à la pression d’une société bizarre qui prône la perfection physique…

Lorsque j’étais adolescente, j’ai réalisé avec horreur que mon nez se transformait.
Horreur, malheur, il commençait à ressembler à celui de ma mère, de ma grand-mère…
La malédiction familiale avait encore frappé.
Mes frères avaient hérité du joli nez de mon père.
Et moi, censée représenter la féminité dans toute sa splendeur, je me retrouvais nantie d’un appendice nasal bosselé.
Mince…
Au fil des années, de bonnes âmes m’ont soufflé d’aller consulter un chirurgien esthétique.
Je ne l’ai pas fait, sans doute parce que j’avais à faire face à des problèmes autrement plus sérieux.
Mon nez et moi avons donc grandi, côte à côte.
Je lui en voulais d’être là, bien visible.
Et lui, imperturbable, ne bougeait pas d’un iota, bien décidé à s’imposer tel qu’il était.
Dans la pénombre de mon alcôve, j’étudiais Cyrano de Bergerac pour le plaisir, mémorisant la tirade du nez en essayant de comprendre comment le brave héros avait réussi à apprivoiser le sien.
Comme si cela ne suffisait pas, mon nez a été cassé trois fois.
Et la dernière de ces fractures nous a laissé en souvenir une splendide cicatrice.
La totale…
Depuis, mon nez et moi cohabitons de manière pacifique.
Lorsque je vois les visages ravagés ou désharmonisés de certaines femmes qui ont eu recours à la chirurgie esthétique, je me dis que, finalement, j’ai bien fait de ne pas céder aux sirènes du bistouri.
Mon nez n’a ni embelli ni maigri avec le temps.
Moi non plus.
Mais au moins, lorsque je me regarde dans un miroir, je me reconnais.

Martine Bernier

 

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