Il est un endroit que je souhaitais absolument visiter depuis que mon Capitaine m’en a parlé.
Il se trouve à un quart d’heure de route de chez nous, à Champagney et s’appelle la Maison de la Négritude et des Droits de l’Homme.
J’ai été frappée par l’histoire qui a motivé la création de ce lieu parfaitement inattendu au coeur de la Haute-Saône.
Le 19 mars 1789 les habitants de ce petit village ont demandé par ces mots l’abolition de l’esclavage des Noirs, dans l’article 29 de leur cahier:
« Les habitants et communauté de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les Nègres dans les colonies, sans avoir le coeur pénétré de la plus vive douleur, en se représentant leurs semblables, unis encore à eux par le double lien de la religion, être traités plus durement que le sont les bêtes de somme. Ils ne peuvent se persuader qu’on puisse faire usage des productions des dites colonies si l’on faisait réflexion qu’elles ont été arrosées du sang de leurs semblables: ils craignent avec raison que les générations futures, plus éclairées et plus philosophes, n’accusent les Français de ce siècles d’avoir été anthropophages ce qui contraste avec le nom de français et encore plus celui de chrétien. C’est pourquoi, leur religion leur dicte de supplier très humblement Sa Majesté de concerter les moyens pour, de ces esclaves, faire des sujets utiles au royaume et à la patrie. »
Cette initiative m’a profondément touchée.
Cet article a très probablement été inspiré par Jacques-Antoine Priqueler (1753 – 1802), Capitaine au sein des gardes du corps du roi Louis XVI, qui était en congé à Champagney, son village natal.
Alors que le village devait rédiger un cahier de doléances pour les Etats Généraux, Jacques-Antoine Priqueler aurait suggéré de consacrer un texte à l’abolition de l’esclavage.
Dans l’église du village se trouvait un tableau représentant les Rois Mages avec, parmi eux, Balthazar à la peau d’ébène. (L’Adoration des Mages)
Les habitants étaient donc familiarisés avec cette représentation d’un homme noir.
Dans l’église où ils ont été appelés pour rédiger le cahier, ils ont écouté l’officier leur décrire le sort tragique réservé à ces hommes capturés, arrachés à leurs familles, jetés dans des cales, soumis à des conditions inhumaines lors de la traversée de l’Océan, vendus comme du bétail et utilisés ensuite comme esclaves.
Sensibles à la souffrance et à la détresse de ces hommes, ces femmes et ces enfants, les habitants, qui vivaient dans des conditions très dures, ont approuvé cet article 29, humaniste et clair, ajouté à leur cahier.
Sur le site du musée est diffusée la liste des signataires.
Malheureusement, le texte en question n’est jamais arrivé au Roi.
Le cahier de doléances a fini sa course au bailliage de Vesoul peut-être parce qu’il a été jugé inintéressant ou trop audacieux, dit-on.
Ce qui n’empêche que les enfants de Champagney peuvent être fiers de ceux qui les ont précédés.
Depuis que je suis au courant de cet épisode historique, je regarde ce village différemment, avec tendresse.
Et je me réjouissais d’aller rendre visite à ce musée créé en 1971, et qui fait partie de la « Route des abolitions de l’esclavage » qui compte cinq sites à découvrir dans le Grand Est de la France.
Cette visite fait partie de celles qui vous marquent pour longtemps par l’histoire qui vous y est contée.
La Maison de la Négritude doit être visitée au moins une fois pour la richesse de ses documents et l’ouverture qu’elle propose sur tout un pan d’Histoire peu glorieux.
Mais elle n’est pas figée dans le passé.
L’esclavage existe toujours, les Droits de l’Homme continuent à être violés, et une partie de l’exposition s’applique à sensibiliser le public à cette situation qui touche entre 45 et 200 millions de personnes à travers le monde.
Le musée propose également des expositions temporaires comme celle encore visible jusqu’au 31 janvier, consacrée à La ségrégation et la gloire, les soldats noirs américains au coeur de la Grande Guerre.
Je terminerai par cette phrase que Bernardin de Saint-Pierre, l’auteur de Paul et Virginie, a écrite dans son livre Voyage à l’Ile de France: « Je ne sais pas si le café et le sucre sont nécessaires au bonheur de l’Europe, mais je sais bien que ces deux végétaux ont fait le malheur de deux parties du monde. On a dépeuplé l’Amérique afin d’avoir une terre où les planter ; on dépeuple l’Afrique afin d’avoir une nation pour les cultiver. »
Martine Bernier