Ma Compagnie scoute a un jour décidé que, pour sa soirée annuelle, nous allions monter le ballet « Casse-Noisette ».
Projet ambitieux, même si c’est une « vraie » danseuse qui devait signer la chorégraphie, tenir le rôle principal et nous hisser au niveau qu’elle souhaitait.
La pauvre…
Aucune d’entre nous n’avait jamais vu Casse-Noisette, et il n’y avait pour ainsi dire pas de danseuses ou d’apprenties danseuses dans nos rangs.
Ce n’était pas gagné…
Pour ma part, comme quelques autres, je me suis vue attribuer le rôle d’un cheval.
Ce qui m’arrangeait: je pouvais porter un masque.
Pour cela, les petites mains de la Compagnie avaient confectionné des têtes de chevaux allongées, en carton.
Seul défaut à leurs oeuvres: personne n’avait prévu d’ouvertures pour les yeux.
Nous ne voyions que par en-dessous, ce qui limitait notre champ visuel à un carré de sol et nous obligeait à nous déplacer au radar.
Sur scène, je n’espérais qu’une chose: ne renverser personne lors de mes galopades enthousiastes, et ne pas finir dans la fosse d’orchestre.
Il fallait de plus veiller à ne pas « perdre nos oreilles », comme nous le rappelait constamment notre chorégraphe.
Nous avons beaucoup, beaucoup répété.
Et j’ai immédiatement eu un coup de foudre pour la musique de Tchaïkosvsky.
Pendant les interminables et très nombreuses répétitions, je ne me contentais pas d’être présente pour la partie qui me concernait.
Dès que j’en avais fini, avec quelques autres, je filais m’installer dans la salle et je savourais la musique…
Le spectacle s’est très bien passé.
Le public, composé de parents et d’amis était bienveillant et tolérant.
Dès la fin du ballet pataud, j’ai commencé à me dire que j’aimerais un jour voir Casse-Noisette.
Le « vrai », interprété dans les règles de l’Art par un corps de Ballet professionnel.
J’ai attendu plus de 35 ans.
Et puis…
Il y a peu, le Ballet a été dansé à Lausanne par le Théâtre Municipal Académique de Kiev.
J’avais les billets depuis longtemps, achetés avant que je ne sois pas au top de ma forme.
Je ne pouvais pas le manquer.
J’étais comme une fillette qui va rencontrer le Père Noël pour la première fois.
Après tellement d’années d’attente, j’aurais pu être déçue.
Non… j’ai été enchantée.
Dans le public, beaucoup de femmes.
Les hommes présents se répartissaient en trois catégories majeures: les ravis d’être là, sensibles à la danse classique, les ronchons soupirants, contraints d’accompagner leur femme, et quelques hommes plus âgés emmenant avec eux des enfants.
Aller voir ce ballet est une fête…
Dès l’ouverture du rideau, j’ai été charmée par les décors, les costumes…
Les danseurs étaient magnifiques.
La danseuse étoile Olga Golitsa les éclipsait pourtant par la perfection qu’elle incarne.
Sa beauté, sa grâce, sa façon de danser: elle mérite le titre d’Etoile…
Je connais la musique de ce ballet par coeur.
Ce soir-là, j’avais dix ans.
Quand j’ai soudain entendu la voix de mon Capitaine résonner à mon oreille:
– Mais? Où sont les chevaux?
– Visiblement il n’y en a pas…
La chorégraphe de mon adolescence avait pris quelques libertés avec la mise en scène classique…
J’ai vu que Celui qui m’accompagne était secoué par un rire discret, et je lui ai demandé ce qui lui arrivait.
Il a répondu, avec un grand sourire:
– Le vôtre, c’était un « Casse-Noisette » sauce lapin?
Pour les profanes: l’un de mes amis belges plaisante souvent à propos de la sauce lapin qu’il semble affectionner, et qui reste à ses yeux l’un des symboles culinaires de la Belgique.
La réflexion m’a amusée…
Et je suis retournée dans le spectacle, dans la musique, dans mon rêve de petite fille…
Ce soir-là, donc, j’ai vécu un moment magique.
Mais je n’en ai pas fini avec Casse-Noisette.
A présent, je voudrais le revoir, mais cette fois avec un véritable orchestre dans la salle.
Histoire de profiter des deux Arts, la musique et la danse, en direct…
Martine Bernier